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Panorama PerspectivesPoint de vue sur le double usage

Perspectives Posté sur 2018-08-30 11:01:23

Point de vue sur le double usage

La sécurité peut-elle être assurée par la réglementation ?

Auteurs

Christine Uhlenhaut

Chargée de mission, Réduction des menaces biologiques, Service des Programmes, Organisation mondiale de la santé animale (OIE)

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Le terme « à double usage » est l’expression consacrée pour caractériser les innovations susceptibles d’être utilisées tantôt à bon escient, tantôt à mauvais escient, y compris dans le domaine des sciences de la vie.

La menace biologique est un sujet partiellement intégré par l’opinion publique. La plupart du temps, elle ne suscite pas d’intérêt particulier, tandis qu’à d’autres moments elle domine soudain l’actualité et les décideurs sont alors instamment priés d’adopter des mesures pour faire face à ces menaces et ces risques – réels ou supposés. Son retour au-devant de la scène peut être liée à des maladies ou pathologies spécifiques comme les enveloppes contaminées au bacille du charbon aux États-Unis [1], l’épizootie de fièvre aphteuse au Royaume-Uni [2], l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest [3] ou l’apparition du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) [4]. Parfois, le sujet prend un regain d’importance à la faveur d’avancées scientifiques telles que la séquence génomique [5], l’intelligence artificielle, la biologie synthétique ou les nanotechnologies [6].

Pour assurer notre sécurité, il est nécessaire de mener des recherches sur tous ces agents pathogènes à haut risque et de réaliser les avancées scientifiques qui permettront de développer de nouveaux vaccins et traitements et de trouver de nouvelles façons de nous protéger et de protéger les animaux et les plantes. Cependant, les agents pathogènes à haut risque et les nouvelles technologies comportent une part importante de risque inhérent lié, notamment, à la possibilité d’une propagation accidentelle mais aussi au risque d’utilisation potentielle à des fins malveillantes. Ces deux faces d’une même monnaie sont décrites comme le « dilemme du double usage ».

Le terme « à double usage » désignait initialement une technologie utilisée tant à des fins militaires que civiles (par exemple les micro-ondes, les satellites ou internet), puis c’est devenu l’expression consacrée pour caractériser les innovations pouvant être utilisées à bon escient comme à des fins malveillantes, y compris dans le domaine des sciences de la vie. La possibilité qu’une épizootie majeure puisse être causée intentionnellement est amplement débattue depuis longtemps ; cette hypothèse relève de l’agroterrorisme (dirigé à l’encontre du bétail pour provoquer un préjudice économique) ou du bioterrorisme (dirigé à l’encontre du bétail et de la chaîne alimentaire, par exemple à travers une zoonose). La probabilité qu’un tel événement se produise est directement liée aux capacités des auteurs potentiels de se procurer l’agent pathogène, la technologie et les connaissances adéquats. Bien que la science et la technologie constituent les fondements du progrès dans le domaine de la santé humaine et de la santé animale, la recherche peut être détournée. Comment alors nous protéger ? Comment réduire le risque sans entraver les progrès scientifiques ?

Différents systèmes ont été mis en place pour parer à ce risque

Le premier de ces systèmes est la sûreté biologique en laboratoire, avec pour but d’éviter une exposition accidentelle aux agents biologiques. La plupart des pays et institutions ont mis en place une réglementation appropriée ainsi que des dispositions en la matière. Le second est un système de sécurité destiné à améliorer la sécurité biologique1. En plus de sécuriser l’accès physique aux installations, les responsables doivent prendre en compte l’utilisation et l’accès à l’information et la technologie, et c’est là qu’existe un véritable dilemme, car les mêmes avancées qui génèrent des progrès technologiques et médicaux sont susceptibles de subir un risque élevé d’utilisation à mauvais escient. De plus, l’évolution de ces technologies est très rapide et il est impossible de suivre leur progression au fur et à mesure, particulièrement dans un monde globalisé où les réglementations nationales ont un impact très limité.

En attendant que le législateur et la législation se mettent à jour, la réponse à la question « est-il possible de réduire ce risque sans entraver la recherche et le développement ? » est positive, au travers d’un comportement responsable. Nous avons besoin de scientifiques qui prennent en considération non seulement les bénéfices de leur travail pour la société mais également les risques. Une analyse solide des risques et des avantages est la clé pour une recherche sûre et sécurisée.

Toutefois, les scientifiques ne constituent qu’une partie des acteurs. Il y en a bien d’autres, faisant de cette question un enjeu intersectoriel qui doit être abordé au carrefour de la santé et de la sécurité. Ces acteurs avec des responsabilités importantes comprennent les bailleurs de fonds qui prennent les premières décisions à partir desquelles la recherche peut aller de l’avant ; les éditeurs qui décident quels résultats peuvent être rendus publics ; les professeurs, dans les universités et ailleurs, qui doivent non seulement transmettre un savoir mais aussi enseigner l’éthique ; les décideurs politiques qui règlementent les domaines de recherche et l’exportation des produits ; enfin le grand public qui peut se trouver exposé au risque mais est aussi le principal bénéficiaire des progrès scientifiques.

http://dx.doi.org/10.20506/bull.2018.1.2768

(1) La sécurité biologique consiste à mettre en place « un ensemble de mesures de gestion et d’agencements physiques destinés à réduire le risque d’introduction, d’établissement et de propagation de maladies, d’infections ou d’infestations animales en direction, en provenance ou au sein d’une population animale » [7]


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Références

  1. Federal Bureau of Investigation (FBI).– Amerithrax or anthrax investigation.
  2. United Kingdom House of Commons (2008).– Foot and mouth disease 2007: A review and lessons learned. London: The Stationery Office.
  3. Organisation mondiale de la santé (OMS).– Flambée de maladie à virus Ebola. 2014-2015.
  4. Organisation mondiale de la santé (OMS) (2003).– Chapitre 5: SRAS: les leçons tirées d’une nouvelle maladie. In Rapport sur la santé dans le monde 2003. Façonner l’avenir.
  5. National Institutes of Health (NIH) (2017).– Genome editing.
  6. United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute (UNICRI) (2012).– Security implications of synthetic biology and nanobiotechnology. A risk and response assessment of advances in biotechnology.
  7. Organisation mondiale de la santé animale (OIE) (2017).– Glossaire. In Code sanitaire pour les animaux terrestres. Disponible à l’adresse : www.oie.int/fr/normes-internationales/code-terrestre/acces-en-ligne/?htmfile=glossaire.htm.

Informations relatives à l'article

  • Plan de travail sur l’antibiorésistance dans l’aquaculture

  • De nouvelles initiatives pour proposer des modules d’e-learning sur la santé des animaux aquatiques

  • Le réseau scientifique de l’OMSA pour la santé des animaux aquatiques